A propos

« Les trésors de l’art sont enterrés dans la verticalité de l’image, suivant le principe de la réserve. »
Achille Bonito-Oliva

Chacune des œuvres de Sandrine Métriau suggère un jeu subtil entre la lisibilité apparente et explicite des formes physiques et leurs contenus intentionnels ; l’organicité d’Immanence (2016), Fe2 O3 (2015) et ses stalagmites ; les racines de Black Rot (2015) ; les disques de 4845 cm3 (2015) ou encore les tentacules de Léviathan (2015) pour n’en citer que quelques- unes, renvoient toutes à une complexification heureuse du travail minutieux de la matière banale (chutes des briques de lait, de jus de fruits, des bandes magnétiques, des câbles électriques etc) ; tricotée, tressée, assemblée, réutilisée, cumulée, afin d’élever cette dernière au royaume des idées les plus abstraites (l’immémorial, la métamorphose etc). Car l’artiste semble avoir bien décelé ce pouvoir suggestif des formes ainsi que l’espace des possibles qu’ouvre le recours à des polarités ; que c’est bien dans cet écart immense que se déploie l’imaginaire de son spectateur, jusqu’à même tordre ce dernier pour verser dans le « fantastique » comme semble l’inspirer Léviathan. Cette dualité toujours explicite et assumée dans son travail plastique fait que l’on se trouve inévitablement entre l’horizontalité de la production (et ce n’est pas un hasard si les œuvres de Sandrine Métriau tendent à s’étendre et à se déployer librement dans l’espace physique de leurs lieux d’exposition) et la verticalité des interprétations suscitées, par la manière dont l’intelligibilité des formes cache en réalité une stratification délicate des sens. À mesure que les œuvres se font à travers l’élaboration lente des matériaux, ce sont bien les domaines de notre existence qui se défont, allant du « social » (les droits de l’homme, la société de consommation, la place de l’artiste) au plus intime du psyché (l’enfance, les émotions primitives, les rêves) ; la substance avec laquelle travaille Sandrine Métriau se révèle être la matière même de nos vies que l’on voit liée et déliée devant chacune de ses œuvres, établissant par là le lien indissociable entre l’individuel et le collectif.

Umut Ungan
Chercheur affilié CRAL / EHESS / CNRS
Membre du comité de rédaction de la revue Marges

 

Au-delà de donner une interprétation de notre société de consommation, de ses fondements innovateurs à ses finalités matérialistes ; l’ensemble de ma démarche artistique repose sur une volonté de donner une nouvelle esthétique à des objets du quotidien banalisés et parfois même oubliés.

Il s’agit d’extraire ces objets (VHS, briques de lait ou jus de fruits, câbles électriques) de leur quotidien et/ou désuétude afin de les utiliser comme matière première constitutive de sculptures ou d’installations. Chacune des œuvres se propose selon un ensemble abstrait s’inspirant de formes issues du monde végétal et/ou topographique (arbre, stalagmites, continents…) révélant ainsi la pensée consciente comme inconsciente des relations entretenues par l’homme avec la nature. Il s’agit de donner une certaine matérialité à ce lien inné mais oublié entre l’esprit humain et son appartenance à son environnement naturel.

L’utilisation d’objets issus de notre quotidien est primordiale et constitutive de mon travail de création. Ils se sont révélés à la conscience collective à un temps donné comme innovation technique ou technologique sombrant peu à peu dans l’oubli ou dans la banalité par leur usage quotidien. Chaque œuvre tente de leur attribuer une esthétique nouvelle donnant à voir cette matière singulière et vulgarisée devenant par l’acte de création, surprise et interrogation.

De cette réflexion, je pris conscience que l’être humain restait insatiablement assoiffé de découvertes et d’émerveillement. Il est guidé par une volonté d’aller plus loin, plus haut, là où il peut encore se surprendre par le non connu, le non maîtrisé. L’enjeu premier de survie et d’expansion réalisé, il ne pouvait se satisfaire de continuer ainsi sans faire évoluer la société à laquelle il appartenait. La recherche de satisfaction était donc « l’élément » sur lequel reposait le déterminisme de l’individu. A l’époque, je m’adonnais au tricot et ressentais une certaine satisfaction lorsqu’un ouvrage était finalisé traduisant des heures de travail à expérimenter de nouvelles formes, de nouveaux points, des nouvelles techniques. Exonéré depuis peu de son absolue nécessité pour certaines couches sociales, il est aujourd’hui relégué au rang de passe-temps. Le tricot est un de ces témoins relatant l’évolution de la société au gré de l’histoire portant en lui cette dimension de l’héritage, de la transmission et de l’oubli possible.

J’entrepris alors de se faire rencontrer ces deux réflexions : les objets banalisés ou en désuétude soumis à la pratique du tricot. L’oeuvre devient ainsi le terrain expérimental d’un dialogue entre la matière première et la technique utilisée, élaborant une conversation paradoxale sur l’expérience de l’oubli par le témoignage du vécu donc de la mémoire.

Sandrine Métriau